La stratégie française contre le cancer pour la nouvelle décennie

Lors d’une visioconférence ouverte à tous, l’Institut National du Cancer (INCa) a présenté le 4 février 2021, à l’occasion de la Journée mondiale contre le cancer, sa nouvelle stratégie décennale qui va prendre la suite des plans cancers. Cette stratégie, en cohérence avec la dynamique européenne, donne le cadre aux actions de recherche et de soins en cancérologie avec l’objectif primordial d’impacter le devenir des patients atteints de cancer et ce à tous les stades de la maladie.

L’intervention du Président Emmanuel Macron a été suivie par deux tables rondes qui ont permis de balayer l’ensemble des actions de recherche et de soins qui feront l’objet de cette nouvelle ère contre le cancer. Les points de vue de tous les acteurs de la chaîne de la recherche et du soin ont pu être exprimés pour conforter les choix stratégiques d’action pour les 10 ans à venir à travers des intervenants prestigieux : Gilles Bloch, président-directeur général de l’Inserm, Pr Norbert Ifrah, président de l’INCa (Institut National du Cancer) et Thierry Breton, directeur général de l’INCa, des praticiens oncologues comme le Pr André Baruchel, chef des services d’oncologie pédiatrique aux hôpitaux Robert Debré et St Louis, Pr Pascal Hammel, chef du service d’oncologie digestive à l’hôpitalBeaujon et le Pr Frédérique Penault-Llorca, directrice du Centre de Lutte Contre le Cancer Jean Perrin ont pu partager leur bilan et leurs attentes, chacun dans sa spécialité avec un regard pratique sur les réalités du quotidien en recherche ou dans la filiale soins. Ainsi, nous avons pu entendre le point de vue des anatomopathologistes, essentiels pour poser le diagnostic et dont le rôle devient critique face à l’avancée de la médecine génomique. Linda Cambon, enseignante-chercheure en prévention au centre Bordeaux Population Health, nous a permis de comprendre l’importance d’étudier les facteurs socio-économiques et environnementaux pour agir contre le cancer « à la source » et mener une politique de prévention qualitative et adaptée à notre mode de vie. Les patients sont au cœur de ce nouveau dispositif qui met en avant la démocratie sanitaire. Ils sont aujourd’hui des acteurs engagés, que l’on retrouve de plus en plus impliqués dans la recherche et moteurs de l’amélioration de la prise en charge, comme l’ont précisé Pascale Altier et Isabelle Salvet du Comité de démocratie sanitaire de l’INCa.

Si nous devions résumer les grandes lignes de cette stratégie, nous retiendrions que les axes prioritaires sont en adéquation avec les remontées des 2 consultations citoyennes menées par l’INCa :

La prévention avec des actions ciblées sur le long terme (environnement, nutrition, tabagisme). Une volonté d’agir auprès des jeunes générations par une approche qui doit aller au-delà des campagnes de prévention « classiques », en intégrant des approches de recherche en psychologie et sociologie pour essayer de changer les mentalités et les modes de vie de tous face à la menace du cancer.

Le dépistage doit évoluer vers un dépistage plus moderne s’appuyant sur l’intelligence artificielle et les « big data ». Un dépistage organisé du cancer du poumon est prévu et viendra compléter les 3 cancers déjà concernés par le dépistage : ceux concernant le côlon, le sein et le col de l’utérus.

Réduire les séquelles du cancer est un axe important à la stratégie. « On ne peut plus se contenter de guérir sans se préoccuper de l’après ». Les progrès de la science font qu’aujourd’hui davantage de patients guérissent de leur cancer, mais 2 patients sur 3 présentent des séquelles de leur maladie. Il faut donc qu’ils retrouvent leur vie « d’avant la maladie » et c’est particulièrement le cas pour les cancers pédiatriques. Cet effort doit être mis en place dès l’élaboration des thérapies et les essais cliniques. Des efforts seront engagés pour faciliter le retour à l’emploi et à la formation après le cancer.

Réduire les inégalités d’accès à la prévention, au dépistage et au traitement : Des investissements massifs sont prévus dans ces domaines pour rattraper les retards. Un travail est en cours pour simplifier les procédures réglementaires d’accès aux traitements innovants. Toutefois, le Pr Baruchel souligne aussi qu’il faut continuer la « médecine traditionnelle » car tous n’ont pas accès à la médecine personnalisée, n’étant pas toujours porteurs d’une mutation ciblée par les nouvelles thérapies. Nous apprenons que des outils tels que l’intelligence artificielle pourraient permettre d’améliorer l’égalité d’accès au soin, en proposant à tous les hôpitaux, quel que soit leur statut, des outils informatisés pour le dépistage et le diagnostic issus de l’expérience des centres experts.

Mobiliser les forces de recherche contre les cancers de mauvais pronostic : Il est prévu que 50% du budget cible la recherche, avec une volonté du président de faire de la France un pays attractif pour les chercheurs, et en capacité de garder ses talents. Norbert Ifrah insiste sur les actions de l’INCa qui ont permis cette structuration de la recherche française : les SIRIC (Site de Recherche Intégrée sur le Cancer), les Cancéropôles et les Centres labellisés d’investigation précoce (CLIP2) sont pour lui « les pétales d’une même fleur qui se tournent vers tous les défis à mener du fondamental à la recherche sur les comportements ». Avec l’intervention d’un expert en intelligence artificielle, Nikos Paragios, nous comprenons que l’accent est mis également sur l’importance des données de santé et comment il est possible de créer de la performance au service des patients avec ces données.

Un plan cancer européen de 4 milliard d’euros a été présenté la veille de la stratégie française : Europe’s Beating Cancer plan. Parmi les annonces présentées lors des Rencontres de l’INCa : un centre européen de recherche contre le cancer qui va voir le jour et travailler sur des thématiques communes : imagerie médicale, vaccination/cancers du col, thérapies géniques, cancers pédiatriques… Selon le président Emmanuel Macron, il faut « unir nos forces pour progresser, faire mieux ensemble, plus vite ».

En conclusion, un budget de 1,7 milliards sera engagé sur 5 ans par l’Etat français, soit 20% de plus que les précédents budgets des plans cancers. La stratégie est ambitieuse puisqu’elle vise à réduire de 150 000 à 100 000 l’incidence des cancers en France sur les 10 ans à venir. La recherche reste la pierre angulaire de la lutte contre les cancers les plus létaux et pour ceux qui en sortent, il faut mobiliser nos efforts pour réduire les séquelles à tout prix et faciliter la réinsertion professionnelle et sociétale des patients. Emmanuel Macron nous dit ainsi « Ces sont des vies » et ajoute « Je crois en la science, je crois au progrès, à la mobilisation collective, mobiliser des valeurs communes et ce combat sera gagné grâce à vous ». N’oublions pas que cette stratégie doit avant tout bénéficier aux patients et être menées avec les patients, Pascale Altier nous dit justement : « c’est la stratégie du « Care and Cure », il faut écouter les patients et proposer du temps de qualité avec le patient ».

Pour revisionner les Rencontres 2021 de l’INCa et télécharger les documents de la stratégie décennale